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 Dernière mise à jour : novembre 2011
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Tunu 2008 : une exploration de la côte nord-est du Groenland  Pour être tenu au courant de l'actualité, abonnez vous à la newsletter !
Textes et photos de Pascal Hémon et Dominique Simonneau
   
A la poursuite du macareux moine
Voilier Mio Palmo, 18 juillet 2008. Île de Grimsey, Nord Islande, escale sur la route vers la côte Nord-Est du Groenland.



Accroché au bord de la falaise basaltique dominant la mer, Ragnar manoeuvre l'épuisette avec habileté. Derrière lui sur l'herbe verte, son frère Sigurdur attend patiemment. Soudain la longue épuisette s'agite dans un large mouvement d'avant en arrière, un macareux moine se prend dans le filet. Sigurdur récupère le petit alcidé et le pose avec les prises précédentes.
Nous sommes à Grimsey, une petite île islandaise traversée par le cercle polaire. Les oiseaux de mer trouvent ici un petit paradis.
Sous les cris stridents des sternes arctiques, pétrels fulmar et pingouins torda cohabitent avec les eiders et les guillemots de Brünnich. Mais le plus célèbre habitant est le macareux moine, avec son joli regard nostalgique de clown triste et son bec orangé. Nichant tel un lapin dans des terriers creusés au bord des falaises, des dizaines de milliers d'individus regardent l'océan, sentinelles de l'île plongeant pour nourrir leurs petits, remontant à chaque fois plusieurs alevins alignés dans leur bec. Depuis toujours, la petite centaine d'habitants pratique un mois durant la chasse traditionnelle à l'épuisette, prélevant une consommation familiale. Depuis deux ans, certains vendent leur produit aux restaurants chics de Reykjavik, et à 300 couronnes l'animal, le revenu annuel avoisine les 10000 euros. Un bon complément pour cette population de pêcheurs à la morue frappée de plein fouet par la montée du prix du gazoil.
Mais où donc est passé le Mont Rigny ?
Voilier Mio Palmo, 27 juillet 2008. Au large de la côte de Blosseville, Nord-est du Groenland, par 68°11'N, 24°51'W.



Les yeux rivés aux jumelles, je m'acharne à trouver ce Mont sois-disant remarquable. Impossible de me décider entre ce sommet pyramidal ou bien cet autre massif enneigé. Le temps est remarquablement clair et Mio Palmo taille sa route vers la côte de Blosseville, qui se faisait désirer depuis plus d'une semaine, entre coups de vent dans le détroit du Danemark et glaces résiduelles qui fermaient l'accès au Groenland. Une journée propice aux observations de la côte: le compas à bout de bras, j'annonce les relèvements des deux monts, et Pascal note les points au GPS.
Mio Palmo est tout proche du point où, sur le pont du brick La Lilloise, Jules Poret de Blosseville releva le premier cette côte encore inconnue. Comme le voulait l'usage, le marin français nomme les points remarquables du nom de vénérables personnalités. Et c'est ainsi qu'il nomma Mont Rigny un sommet qui lui sembla particulièrement élevé, du nom de l'amiral ministre de la marine de l'époque. Jules Poret de Blosseville ne pût aller plus avant, bloqué par une barrière de glaces impénétrables. Nous étions le 27 juillet 1833, il y a 175 ans jour pour jour. La Lilloise ne revint jamais de ce voyage. Et depuis, la position du Mont Rigny sur les cartes se promène au gré des nouvelles mesures cartographiques savantes, sans qu'aucune ne corresponde avec certitude au sommet observé par notre compatriote oublié. Nos modestes relèvements lèveront-ils le mystère ? 
Territoire sans homme
Voilier Mio Palmo,  28 juillet 2008. Baie Barclay, Côte de Blosseville, Nord-Est du Groenland, 69°15'46''N, 24°46'25''W.



Imaginez un monde de falaises basaltiques, d'éboulis, de glaciers sculptant des moraines gigantesques, vêlant des montagnes de glace dans l'océan; un monde minéral, glacé, un monde de silence seulement troublé par les vents et l'eau des torrents de fonte. Imaginez un monde comme à l'aube de la vie sur terre. Et pourtant, en regardant de plus près, dans quelques rares oasis abritées, la vie végétale expose sa splendeur, aussi longtemps que durera le court été arctique.
Ici la vie s'accroche où elle peut, comme elle peut, mais s'accroche. Lichen, saxifrages, épilobes, mousses, saules arctiques courant au sol se regroupent à l'abri d'un rocher, alimenté par un filet d'eau descendant des névés. Respectueux devant ce miracle de résistance et d'adaptation, nous évitons soigneusement, de poser un pied dans ces micro-écosystèmes. L'homme est resté et reste normalement absent de cette côte de Blosseville. Même les paléoesquimaux, ancêtres des inuit actuels n'ont fait que passer, sans rester. Seuls les bois flottés et les rares débris sur les plages de galets rappellent que quelque part, loin, très loin, il existe une civilisation humaine.
Nanoq l'ours blanc, le seigneur de l'arctique en est tout étonné de nous voir. D'abord curieux, il s'enfuit rapidement en quête d'un gibier plus habituel, sûrement plus effrayé que nous qui restons ravis de la rencontre. L'équipage de Mio Palmo gardera à jamais le souvenir de ce court passage sur cette côte désolée qui s'était fait si longuement attendre. 
Sous le règne du corbeau
Voilier Mio Palmo, 5 août 2008. Au large de la côte Nord-Est du Groenland, 69°52'N, 22°07'W.



On raconte que tout au début régnait la nuit. Le petit renard qui aimait chasser dans le noir prononçait le mot puissant «Taaq! obscurité, obscurité!» Mais le corbeau lui ne marche pas et il se cognait souvent sur les montagnes en volant. Il finit par se mettre en colère, et alors il apprit un mot aussi puissant «Qau ! lumière, lumière!». Le renard répliqua : «Taaq ! obscurité, obscurité!» Le corbeau : «Qau ! lumière, lumière!» La lumière se fit, et le jour se sépara de la nuit. Et ainsi, depuis ce temps, il fait jour et il fait nuit.
C'est en ayant en tête cette vieille légende inuit que nous approchons de nouveau la côte Nord-Est du Groenland. En ce moment, c'est le règne du corbeau. La lumière envahit tout, tout le temps. Nous naviguons parmi les icebergs majestueux qui s'agglutinent au gré des courants marins. Parfois la brume tombe, dense, étouffant les sons. Nous scrutons la surface de l'eau, à la recherche du prochain iceberg, apparition fantomatique aux contours flous. Avec le brouillard la lumière gris-perle reste puissante. On la devine toujours prête à déverser ses rayons. Lorsque la brume se dissipe, alors les montagnes de glace étincellent, grondent sous les assauts combinés du soleil et de l'eau. Les rayons lumineux nous transpercent comme des aiguilles. Sous ce véritable bombardement lumineux, un iceberg bleu azur se retourne lentement, explose en millier de glaçons qui crépitent comme du bois sec qui s'enflamme.
Nous sommes bien, sous le règne du corbeau.
L'artiste arctique
Voilier Mio Palmo, 12 août 2008. La côte Nord-Est du Groenland, 71°39'N, 22°15'W.



Selon certains racontars, la côte Nord-Est produit des effets bien particuliers sur les Hommes. Il faut dire que la nature leur offre tout ce qu'il faut de spectacles, tous plus féeriques les uns que les autres. L'aspect désolé des grandes plaines de galets, silencieuses, comme figées pour l'éternité contraste étonnamment avec l'océan où les plaques de banquise disloquée évoluent rapidement avec les marées et la houle. A la longue l'homme s'imprègne de cet environnement et se dote d'une vision presque extra-lucide. Un simple galet devient bien plus qu'un caillou : ici c'est un ours, là-bas un homme avec un chapeau, une plaque de neige se transforme en tête de chèvre, et un iceberg en vacherin à la crème. Ces symptômes banals peuvent s'aggraver et produire des conséquences fâcheuses. On raconte d'ailleurs (1) qu'au cours d'une crise paroxystique, un chasseur de la région aurait ainsi confondu son compagnon de station avec le cochon qu'il devait manger pour Noël.
Mais l'artiste, lui, voit plus loin, au delà de l'apparence naturelle. Et il agit sur l'environnement. En déplaçant un caillou, par exemple. Alors un tronc de bois flotté, auparavant inerte, prend vie, devient un homme couché. En recomposant différemment un galet éclaté par le gel une sculpture naît soudain, oeuvre éphémère sous le ciel groenlandais. Clins d'oeil poétiques qu'Alain Bresson nous offre ainsi au long des mouillages dans les sublimes fjords du Nord-Est. Tout en poursuivant son oeuvre sur les poissons, mais là, la démarche est autrement plus périlleuse.
(1) Lire Les Racontars Arctiques, de Jorn Riel
Crêpes de glace
Voilier Mio Palmo, 15 août 2008. La côte Nord-Est du Groenland, 70°28'N, 21°54'W.



Glace de terre et glace de mer, iceberg et banquise : au Groenland, et globalement en Arctique, la glace est omniprésente. Et multiple. En France nous connaissons le givre sur la route, synonyme de difficultés de circulation ou bien le glaçon dans le verre fleurant bon les vacances d'été. Mais en ce vendredi 15 août, c'est la glace de mer qui nous préoccupe. Les blocs de banquise récemment disloquée restent un danger constant pour la navigation et au mouillage. Ras sur l'eau, la glace de mer est traîtresse : avec leur bras tentaculaires sous la ligne de flottaison, les plaques ne demandent qu'à venir briser un safran ou fausser l'hélice. Ancrés au fond d'une baie, apparemment à l'abri, nous devons repousser leurs assauts réguliers à l'aide de grandes lances, véritables tournois médiévaux rythmés par les courants de marée. Souvent le cheminement des grands blocs a quelque chose d'inéluctable, rapport de masse oblige, et nos efforts consistent à battre en retraite en déplaçant le voilier plutôt que d'affronter un mastodonte.
Cette année est une année à glace, nous avait on prévenu au village d'Ittoqqortoormiit. Avec raison.
La banquise de l'an dernier est à peine disloquée que déjà en cette mi-août les signes précurseurs du prochain hiver se font sentir. Au petit matin dans la baie Amdrups, nous découvrons à la surface de l'eau azur une myriade de crêpes scintillantes, de fines plaques de glace transparente préfigurant la banquise naissante. Signes que le temps du retour est venu...
Diagonale Groenland, association type loi 1901, déclarée à la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye le 23 juin 2003, parue au Journal Officiel le 26 juillet 2003, N°30 page 4000